Après deux ans d’expérimentation, d’évaluation et d’analyse de compromis (trade-off), le projet Agroécologie pour les Systèmes de Production Agricole et Alimentaire Paysans (ASPAAP) a présenté ses résultats lors d’un atelier de clôture organisé par l’Union des Groupements Paysans de Mékhé (UGPM) dans la région de Thiès (Sénégal). Le projet analysait les compromis (trade-offs) qui jalonnent les problématiques majeures du projet Aspaap : la gestion durable des semences paysannes, la production de compost naturel, d’huile d’arachide locale et de bouillon naturel.

Aspaap est l’un des cinq sous projets collaboratifs de l’initiative Agroécologie et Systèmes Alimentaires Durables en Afrique de l’Ouest (ASADAO). Ils analysent les compromis et leviers d’action liés à l’adoption de systèmes agroécologiques dans plusieurs pays : Agripsau sur l’agroécologie en zone périurbaine au Burkina Faso  ; Bencout-Agrodur sur l’agro-élevage durable au Bénin ; Equitae sur une analyse des choix de systèmes de production en faveur d’une résilience alimentaire et nutritionnelle et de bien-être social et économique au Niger et Nemo pour favoriser l’insertion des légumineuses négligées dans les systèmes alimentaires au Sénégal.

Pour une autonomie en semences paysannes

Dans la zone de Mékhé, la gestion des semences repose sur une organisation sociale. Tandis que les hommes stockent le mil dans les magasins familiaux, les femmes préfèrent conserver le niébé dans leurs chambres ou cuisines. Une distinction qui illustre le rôle crucial des femmes dans la préservation des cultures vivrières et la pérennité de la diversité agricole. Mais face aux aléas climatiques, aux attaques de ravageurs, ces modes de conservation traditionnels sont mis à rude épreuve.

Loin de baisser les bras, les agriculteurs s’adaptent en mettant en place des stratégies endogènes : les magasins communautaires et la diversification des sources d’approvisionnement, permettant de sécuriser leurs récoltes et maintenir la durabilité des semences locales. Cependant, ces initiatives demeurent fragiles faute de financements et de soutien institutionnel.

Selon Alioune NDIAYE, membre de l’Association sénégalaise des productions de semences paysannes (ASPSP) « Nous devons préserver les variétés locales et éviter de brader toutes nos récoltes en période difficile. L’enjeu est de taille, car sans accès durable à des semences locales adaptées, la souveraineté alimentaire des communautés rurales reste menacée ».

Le compost :  une alternative aux engrais chimiques de synthèse

Dans les localités de Mékhé et de Mbane, Aspaap a aussi modélisé son analyse sur l’adoption du compost comme alternative aux engrais chimiques de synthèse coûteux et nocifs pour les sols. Les résultats sont édifiants dans un contexte où l’épuisement des sols menace la productivité agricole. Cependant, l’initiative est confrontée par des obstacles concrets : rareté de la matière première (crottes d’animaux, écailles de poisson, résidus organiques), manque de matériel et infrastructures inadéquates. Mamadou GUEYE, chargé de projet adjoint, plaide pour un appui technique et financier favorable à l’intégration du compostage dans les pratiques agricoles à grande échelle et à une transition vers une agriculture plus résiliente et durable.

Huile d’arachide :  un potentiel à valoriser localement

Au Sénégal, l’arachide n’est pas une simple graine oléagineuse : elle est un symbole national, un pilier de l’économie et un levier de résilience pour des milliers de familles rurales. Selon l’analyse du projet, la transformation de l’arachide en huile et en sous-produits agroalimentaires représente une opportunité économique et nutritionnelle considérable. Elle constitue une opportunité économique pour les communautés rurales, notamment les femmes pour le renforcement de leur autonomie financière. 

Cependant, l’étude a révélé que la transformation de l’arachide en huile se heurte à plusieurs obstacles : difficulté d’accès à la matière première, manque de financement, concurrence des huiles importées et absence de certification (code-barre et autorisation FRA). Malgré cela, les femmes transformatrices de Mékhé ont su développer des circuits de vente directe, démontrant ainsi que l’huile locale constitue une alternative de qualité aux produits industriels.

Bouillon naturel : un retour aux sources

Les bouillons ont encore de beaux jours devant eux. Il est quasiment impossible de les dissocier de nos systèmes alimentaires. Il y en a de toutes les marques, en poudre ou en cube. Leur point commun reste leur forte teneur en additifs chimiques ou industriels, dont les effets sur la santé restent encore peu connus. Mais il semble que les habitudes commencent à changer au regard des analyses effectuées dans les ménages de la zone de Mékhé.  

La formule locale du bouillon fait des adeptes à Mékhé, la zone d’influence du projet Aspaap. Elle séduit les consommateurs, car elle offre une alternative saine et naturelle aux arômes industriels, souvent critiqués. À base d’ingrédients locaux comme l’oignon, l’ail, le piment et le laurier, ce produit incarne un retour aux produits locaux naturels et une valorisation des savoir-faire traditionnels.

Cette bataille de la transformation des produits locaux soulève un défi d’accès au marché local avec une production suffisante et accessible à tous. Pour cela, la mobilisation de financements reste un défi majeur à surmonter pour permettre une production à grande échelle. 

Aussi faudrait-il encourager l’initiative des femmes de se constituer en groupement avec un jardin potager à leur disposition. Dans l’étude les initiatives de regroupement enregistrent plus de succès que les entreprises individuelles.

Les femmes, actrices clés d’une transition agroécologique réussie

Dans la grande marche vers une transition agroécologique, les femmes rurales ne seront pas de simples spectatrices : elles en seront les artisanes. Présentes à toutes les étapes de la chaîne de valeurs : de la production à la commercialisation, leur engagement est un facteur clé pour réussir une transition agroécologique.

Le projet Aspaap l’a prouvé avec éclat. Selon les conclusions de l’étude, le genre prend un accent particulier dans la gestion des espèces des semences.  Le niébé par exemple (11% de la production de légumineuses au Sénégal selon la DAPSA) est plus une culture gérée par les femmes de sorte que les modalités de sélection, de stockage et d’approvisionnement sont dictées par les femmes. Il découle des observations que chaque sexe stocke selon le lieu où son influence est la plus importante.

Aussi les résultats du projet Aspaap, montrent que l’agroécologie n’est pas seulement un levier pour renforcer l’autonomie des paysans, préserver l’environnement et garantir une alimentation saine. Elle peut aussi être un formidable moteur d’émancipation économique et sociale pour les femmes rurales, trop souvent laissées en marge des politiques agricoles.

 

Comme l’a souligné Fatou Binetou DIOP, chargée du projet : « Les femmes jouent un rôle central dans la transition agroécologique. Grâce au projet Aspaap, nous avons démontré qu’avec un soutien adapté, dans le financement et la formation, elles peuvent contribuer durablement à l’atteinte de la souveraineté alimentaire tout en renforçant leur autonomie économique ».

Assurément, pour bâtir des systèmes alimentaires durables et résilients, il est impératif d’associer les femmes, leur faciliter l’accès aux équipements et infrastructures hydroagricoles, pour aussi sécuriser la pérennité des semences paysannes. 

En sommes, à travers le projet Aspaap, Mékhé et ses environs montrent la voie d’une transition vers des systèmes agricoles plus résilients, inclusifs et durables. Comme l’a souligné Jean Michel Waly SENE, Secrétaire, exécutif de Enda Pronat et coordinateur de l’initiative ASADAO, « ce projet démontre que l’agroécologie et l’analyse des compromis agricoles ne sont pas seulement des alternatives, mais des nécessités pour assurer la souveraineté alimentaire, la durabilité et l’autonomie semencière des producteurs africains ».

Ce projet, réalisé en partenariat avec plusieurs institutions, notamment l’UGPM, Enda Pronat, CIRAD et ISRA/BAME, a permis d’analyser les compromis et de valoriser des pratiques agroécologiques innovantes, respectueuses de l’environnement, créatrices de revenus et adaptées aux réalités locales. Les résultats obtenus plaident en faveur d’une amplification de ces initiatives à une échelle plus large, en renforçant le soutien aux organisations paysannes et en mettant en place de politiques publiques favorables à l’agroécologie au Sénégal et en Afrique de l’Ouest.