A la croisée de l'agroécologie et des systèmes alimentaires: Découvrez des systèmes de développement de produits locaux en Afrique de l'Ouest

En 2020, le mois d’octobre a été décreté, le « mois du consommer local » par les 8 États membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, l’UEMOA (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo). Cette décision politique renforce les initiatives de promotion de systèmes alimentaires durables portées par des organisations de la société civile, des ONGs, des chercheurs, des universitaires. C’est à l’image du projet ASADAO (Agroécologie et Systèmes Alimentaires Durables en Afrique de l’Ouest) qui révèle comment une approche agroécologique redéfinit les systèmes alimentaires régionaux.

Le projet ASADAO regroupe cinq sous-projets collaboratifs et explore les intrications complexes de l’agroécologie, offrant des réponses novatrices aux défis prioritaires. De l’analyse des compromis en agriculture urbaine au Burkina Faso avec Agripsau, à l’étude des filières de semences et d’huile d’arachide au Sénégal avec  Aspaap, en passant par Bencout-Agrodur au Bénin, Equitae au Niger et Nemo au Sénégal, l’initiative explore les compromis et les bénéfices de l’adoption agroécologique dans diverses filières alimentaires.

Découvrez ces recherches pionnières, révélant des innovations agroécologiques sur les systèmes alimentaires territorialisés.  

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(Projet 1/5) – Agripsau : À Ouagadougou, l’agroécologie s’invite en pleine ville

Ouagadougou redécouvre le goût du local avec des produits sains.  Dans certains endroits, l’urbanisation côtoie l’agriculture urbaine qui est devenue l’écho d’une volonté de consommer autrement, plus sainement, en reconnectant les citadins à leur alimentation. Des habitants cultivent des légumes en hors-sol, dans des contenants recyclés. Bien que la production reste modeste, ces initiatives montrent l’intérêt des citadins pour une alimentation saine et maîtrisée portée par Agripsau (AGRoécologisation Inclusive des Politiques et Services d’Appui à l’Innovation pour renforcer la résilience de l’Agriculture Urbaine).

Pourtant, l’agriculture urbaine agroécologique reste une voie semée d’embûches, entre pression foncière, manque de ressources agroécologiques et défis environnementaux.

Ces espaces nourriciers survivent tant bien que mal, entre la pollution, le manque d’eau et des intrants écologiques peu accessibles. Pour beaucoup, les engrais chimiques de synthèse restent plus abordables, malgré leurs conséquences néfastes pour l’environnement. Ces ressources écologiques sont souvent coûteuses et difficiles à obtenir, d’où le besoin de développer des chaînes d’approvisionnement locales pour les rendre plus accessibles. De plus, la gestion de l’eau pose des difficultés majeures : le tarissement précoce et la pollution des retenues d’eau compliquent l’irrigation durable, rendant nécessaire l’adoption de systèmes d’irrigation plus écologiques et efficaces. Thomas Yameogo, chargé du projet Agripsau nous éclaire : « Notre défi principal, c’est l’accès à des ressources agroenvironnementales. Développer des chaînes d’approvisionnement locales est crucial. »

La sécurisation des terres en est un autre obstacle majeur. De nombreux agriculteurs, locataires temporaires de leurs parcelles, hésitent à investir dans des techniques durables.

« C’est une sorte de culture populaire qui émerge, à la fois durable et collective. Si nous renforçons cette dynamique, cela profiterait à une grande partie des citadins, qui pourraient ainsi intégrer ces produits sains dans leur alimentation » commente Thomas Yameogo, observant avec intérêt cette nouvelle passion des citadins pour les produits locaux.

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(Projet 2/5) – Aspaap : Vers une révolution durable dans les terroirs de Thiès et Fatick au Sénégal

L’ancrage du projet Aspaap (Agroécologie pour les Systèmes de Production Agricole et Alimentaire Paysans) dans les régions de Thiès et de Fatick, souligne une transition vers des pratiques agricoles durables qui répondent aux défis imposés par les changements climatiques et les pressions des systèmes de production conventionnels.

Les semences locales, adaptées aux réalités climatiques du pays, se trouvent au cœur de cette initiative. Elles sont essentielles pour assurer la sécurité alimentaire dans les foyers tout en renforçant l’autonomie des agriculteurs face à un marché de semences standardisées peu adaptées aux réalités locales. Mamadou Gueye, Adjoint au chargé de projet d’Aspaap, affirme que « les semences locales ne sont pas seulement une ressource agricole, mais un pilier de résilience. Elles garantissent que les communautés rurales puissent continuer à produire des aliments sains et nutritifs, malgré les aléas climatiques ».

L’Aspaap a également examiné les modèles de rentabilité pour les producteurs d’huile d’arachide et les fabricantes de bouillons locaux. Les résultats montrent une tendance forte : les producteurs qui investissent dans l’achat de matières premières en période d’abondance voient leur rentabilité augmenter de plus de 50 %. De même, les productrices qui cultivent leurs propres ingrédients pour les bouillons dans des jardins familiaux atteignent une rentabilité de plus de 120 %, réduisant les coûts et stimulant la qualité de leur produit.

L’utilisation de produits locaux, comme l’huile d’arachide, offre non seulement une source de revenus complémentaire aux agriculteurs, mais elle enrichit également la qualité nutritionnelle des aliments disponibles, contribuant ainsi à la diversité alimentaire. Au-delà de l’aspect économique, la valorisation des produits locaux contribue à la sécurité alimentaire nationale et répond aux besoins d’une population soucieuse de consommer sain et durable.

En lien avec l’agroécologie, cette stratégie d’autonomisation économique favorise une réappropriation des pratiques agricoles locales et démontre comment des choix alimentaires éclairés peuvent façonner et faciliter la promotion du consommer local pour une souveraineté durable au Sénégal.

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(Projet 3/5) BenCout-Agrodur : le pari audacieux pour l’agro-élevage au Burkina Faso et au Bénin

Dans les champs du Burkina Faso et du Bénin, une petite révolution agricole se joue discrètement. C’est ici que l’initiative Bencout-Agrodur (Agro-Elevage Durable pour les Filières Lait et Viande au Bénin et au Burkina) transforme l’agriculture locale, là où des générations d’agriculteurs et d’éleveurs se sont succédées. Ce projet ambitieux, né de la rencontre entre chercheurs, cultivateurs et éleveurs, réinvente l’agro-élevage en intégrant les principes de l’agroécologie pour contrer l’épuisement des sols, le changement climatique et répondre aux pressions démographiques croissantes. Pourquoi ce modèle pourrait-il changer la donne ?

Professeur Rodrigue V. Diogo, expert en systèmes intégrés, à l’Université de Parakou au Bénin et chargé du projet BenCout-Agrodur, en est convaincu : « L’intégration agriculture-élevage permettrait de créer des écosystèmes autosuffisants où chaque ressource est recyclée et réutilisée. C’est un modèle qui, tout en respectant la nature, pourrait garantir une production plus saine et durable. » Ici, les déchets agricoles nourrissent le bétail, les résidus d’élevage enrichissent les sols, et les cycles de production s’optimisent dans une dynamique circulaire.

Ce modèle a un coût, cependant. Pour les petites exploitations, l’achat d’engrais organiques ou la mise en place de cultures fourragères représente un investissement conséquent. « Les freins sont réels, mais avec des subventions pour les intrants biologiques et des formations accessibles, on pourrait aider les agriculteurs à franchir ce cap », assure Professeur Rodrigue V. Diogo. Grâce à des financements ciblés, ces fermes traditionnelles pourraient évoluer vers des pratiques plus durables, promesses d’une agriculture résiliente et autosuffisante.

Agroécologie et consommer local : un binôme pour l’avenir

Au-delà des techniques, l’enjeu est aussi commercial. Les produits issus de l’agroécologie, bien que riches en nutriments, ont encore du mal à concurrencer les productions industrielles. « Une campagne d’information pourrait transformer la perception des consommateurs », suggère Professeur Rodrigue Diogo. En valorisant les qualités nutritionnelles des produits locaux et en développant un circuit de distribution dédié, le projet BenCout-Agrodur ambitionne de placer ces produits au cœur des tables ouest-africaines.

Pour les producteurs, l’agroécologie représente l’avenir, mais elle exige aussi un engagement politique pour changer d’échelle. « Avec des politiques nationales proactives, un réseau de distribution et un soutien aux producteurs, l’agroécologie pourrait devenir un pilier de la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest », conclut Professeur Rodrigue Diogo. Ce pari audacieux pourrait bien redessiner les paysages agricoles du Bénin et du Burkina Faso, mettant les produits locaux au centre de la souveraineté alimentaire de demain.

 (Projet 4/5) EQUITAE au Niger : l’agroécologie et les produits locaux en première ligne

En plein cœur des terres arides du Niger, un vent de changement souffle sur les pratiques agricoles. Le projet Equitae (Équilibre et Équité pour la Transition agroécologique au Niger), en promouvant des pratiques agroécologiques, transforme les méthodes de cultures traditionnelles tout en renforçant l’autonomie et la résilience des communautés locales. Les femmes, en première ligne de cette dynamique, jouent un rôle central, alliant innovation et inclusion pour bâtir une agriculture durable et équitable.

Dans les terroirs de Sae-Saboua et Falwel, des producteurs et productrices sont à l’avant-garde d’une révolution agricole. Grâce à l’approche participative et inclusive mise en œuvre par EQUITAE, ils composent eux-mêmes des paniers d’options agroécologiques qui combinent choix variétaux, itinéraires culturaux avec associations de cultures ou pas, et options en matière de gestion de la fertilité des sols. L’objectif ? Évaluer l’impact de ces choix sur des critères de rendement, de fertilité des sols, mais aussi sur les répercussions sur la qualité nutritionnelle et transformationnelle des produits, allant bien au-delà des simples rendements agricoles.

Les résultats préliminaires, des essais menés à Falwel et Sae Saboua, sont prometteurs. Ils révèlent des améliorations notables qui ne se limitent pas aux augmentations de rendement, mais concernent également une meilleure qualité des produits obtenus.

Des analyses détaillées révèlent que les mets traditionnels, comme le Dambou (couscous de mil), le Loulaye (la purée de niébé), bénéficient grandement de ces pratiques agroécologiques, offrant une valeur nutritionnelle et transformationnelle accrue.

« Les pratiques agroécologiques, notamment l’utilisation des boules de semences enrobées, la fumure organique, le compost et les biopesticides naturels éprouvés soutiennent et garantissent la qualité de la production. Par ailleurs, la cocréation de formules de farines localement fortifiées de bonne qualité sanitaire et sans prémix contribuent à améliorer la nutrition des communautés locales et renforcer leur résilience », explique Moustapha Moussa, chargé du projet Equitae.  

Innover avec les femmes

Au cœur de ce changement, les femmes jouent un rôle central. Elles sont souvent en première ligne des activités agricoles et de transformation, et leur inclusion dans le projet est essentielle. Une enquête auprès des ménages montre que ces nouvelles pratiques ont un impact positif sur l’alimentation familiale et la santé, renforçant ainsi l’autonomie et la résilience des foyers.

Dans les communes de Sae-Saboua et Falwel, pourtant, les femmes restent cantonnées aux maillons les moins valorisés de la chaîne de valeurs agricole, avec des entreprises informelles et peu de reconnaissance pour leur contribution essentielle. Au-delà des cultures de mil, sorgho et niébé, elles interviennent sur l’ensemble du processus, de la récolte à la commercialisation, mais leurs activités, cruciales, demeurent invisibles aux yeux de nombreux décideurs politiques et organisations de la société civile. Ces derniers tendent encore à analyser les inégalités de genre de manière limitée, en négligeant l’importance d’une approche globale, sur chaque maillon. Une stratégie qui met en lumière la nécessité d’une vision plus inclusive et éclairée : comprendre les rôles et défis des femmes, et les positionner comme de véritables actrices économiques pour transformer le secteur agricole.

Le projet Equitae ne se limite pas à l’agriculture durable. Il incarne un symbole de justice sociale et d’innovation, renforçant les agroécosystèmes et les communautés locales. En donnant aux producteurs et productrices les moyens de faire des choix éclairés, Equitae pave la voie vers une prise en main des productrices et producteurs de leur destin à travers une agriculture durable qui intègre toute la chaîne de valeurs. Une orientation essentielle pour relever les défis environnementaux et économiques du Niger.