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Alors que la population mondiale ne cesse de croître et que, corrélativement, les ressources naturelles s’amenuisent, le défi de la sécurité alimentaire s’intensifie à l’échelle planétaire. Face à cette conjoncture, de nombreuses organisations s’efforcent de promouvoir des modes de production et d’alimentation qui conjuguent performances économiques, environnementales et sociales et qui tiennent compte des impacts sur les milieux de vie. Cas de figure du Sénégal, en Afrique de l’Ouest, où cette démarche est étroitement liée à la lutte pour la sauvegarde des ressources foncières et à celle de la valorisation des produits locaux.
Comme c’est le cas dans de nombreux pays africains, l’insécurité alimentaire menace une part importante de la population du Sénégal. D’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, à l’heure actuelle, près de 750 000 Sénégalais seraient touchés par cette situation.
Il faut savoir que la population de ce pays d’Afrique de l’Ouest vit en majorité en milieu rural (53,5 % selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie) et qu’elle œuvre principalement dans le milieu agricole.
Or, le Sénégal connaît actuellement un important problème de dégradation des sols. D’après des études réalisées par le Comité inter-États de lutte contre la sécheresse au Sahel, sur les 3 800 000 hectares de terres arables dont dispose le Sénégal, 2 400 000 sont fortement dégradés.
Cela s’explique notamment par l’utilisation soutenue d’engrais chimiques, l’intensification des cultures industrielles et la réduction du couvert végétal, laquelle est due à la déforestation et aux nombreuses sécheresses qui ont affecté le pays depuis les années 1970.
L’accaparement des terres
Parallèlement, l’accès aux terres est de plus en plus difficile au pays. Actuellement, la loi sur le domaine national met la terre à la disposition des communautés de base, mais sans droits juridiques ; elle ne prévoit ni la transmissibilité, ni l’aliénabilité, ni la cessibilité des terres.
Ce que cela signifie concrètement, c’est que tant que les populations cultivent ces terres, elles peuvent techniquement les considérer comme leurs. Cependant, sur le plan juridique, elles ne leur appartiennent pas.
En vertu de la loi, l’État du Sénégal peut donc octroyer des terres à des investisseurs privés et spolier les agriculteurs de leurs parcelles s’il juge la transaction opportune pour des raisons d’utilité publique.
« L’accès au foncier est un problème qui s’accélère depuis la crise mondiale de 2008 », indique Mme Mariam Sow, présidente du conseil d’administration d’ENDA tiers-monde, une organisation internationale oeuvrant à la promotion d’une société plus juste et plus équitable par le changement politique, économique et social.
En effet, de plus en plus d’investisseurs étrangers convoitent les terres du Sénégal. Il s’agit tantôt d’États désireux d’assurer la sécurité alimentaire de leurs citoyens, tantôt d’acquéreurs intéressés par les retombées financières que leur exploitation peut rapporter.
« C’est très inquiétant, parce qu’ils récupèrent nos ressources foncières pour faire de grandes cultures, souvent destinées à l’exportation, qui engendrent une dégradation [des sols] encore plus forte pour les populations locales et qui contribuent à créer une insécurité alimentaire encore plus grande », souligne Mme Sow.
Sous la pression de la société civile, après son élection en 2012, le président Macky Sall a mis en place une commission nationale de réforme foncière chargée de proposer un texte de politique foncière. Ce dernier a bel et bien été élaboré et soumis aux plus hautes autorités, mais est demeuré sans suites après la dissolution de la commission.
« Nous attendons impatiemment l’adoption d’une réforme foncière, confie Mme Sow. La société civile, et ENDA en particulier, a développé une bataille très forte par rapport à ces multinationales. Mais ce qui est difficile, c’est qu’il y a une pression importante de l’international qui cherche toujours à garder une mainmise autour des ressources africaines. »
Pour une agriculture écologique et locale
Pour répondre au défi de la sécurité alimentaire, plusieurs estiment que le milieu agricole sénégalais doit effectuer une transition vers une agriculture plus écologique et plus durable.
Avec le soutien d’organisations comme ENDA, plusieurs agriculteurs ont amorcé un changement de pratiques, notamment en diversifiant leurs cultures, en adoptant des méthodes biologiques et en évitant de recourir aux produits chimiques, mais ceux-ci restent encore insuffisamment nombreux. « Si on n’accélère pas cette transition, nous sacrifierons tout un continent et toute une génération future, juge la militante d’ENDA tiers-monde. Il y a beaucoup de dispositifs à mettre en place pour soutenir cette transition. Il faut se doter d’une vision politique plus claire et instaurer des mécanismes de financement d’une agriculture plus durable. […] Il faut aussi se mettre à former des jeunes qui vont devenir des paysans intellectuels qui travaillent en connaissance de cause. » La valorisation des produits locaux figure également au palmarès des priorités. Considérant que les besoins alimentaires des Sénégalais sont aujourd’hui couverts à près de 70 % par des importations, principalement de riz, de blé et de maïs, le défi s’annonce de taille.
De passage au Canada
Mme Sow entame ces jours-ci un séjour au Canada. Le 30 octobre, aux côtés de l’organisation canadienne Inter Pares, elle prendra la parole à Ottawa lors du lancement officiel du plus récent rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Elle participera également à l’événement la Tablée des idées, le 10e forum du Réseau pour une alimentation durable, lequel aura lieu du 1er au 4 novembre. Elle y discutera de l’impact de l’agriculture industrielle et du besoin urgent d’une transition vers l’agriculture écologique en Afrique.
Source: https://www.ledevoir.com/vivre/alimentation/539763/une-transition-agroalimentaire-s-impose