Le 11 avril 2019, la Cour suprême a annulé l’arrêté préfectoral n°15/AGS/SP du 27 mars 2017 de l’arrondissement de Gamadji Saré qui octroyait 10.000 hectares au groupe agro-industriel Afri Partners, dans les communes de Dodel et Demette. Ce, à la suite du recours déposé par Me Assane Dioma Ndiaye au nom de 2543 habitant-e-s affectées. Sans jamais être écoutée par les autorités compétentes, une grande partie de la population n’a cessé d’alerter et de s’opposer à cette affectation massive aux conséquences désastreuses pour les populations.
Dès le 10 avril 2017, une pétition signée par une centaine de personnes est déposée à la mairie. En mai, les villages se sont constitués en Collectif et ont adressé une lettre à la brigade de gendarmerie de Ndioum, au maire de Dodel, au sous-préfet de Gamadji Saré, au gouverneur de Saint-Louis et au Ministre de l’Intérieur pour leur signifier leur opposition à ce projet. En juin, un huissier a constaté que la délibération de la commune affectant 10 000 hectares à Afri Partners n’a pas été affichée et l’adjoint au maire a refusé de lui remettre le document, ce qui constitue une violation du droit à l’information des populations garanti par la Constitution. Début juillet, des manifestations ont réuni plusieurs centaines de personnes des communes de Dodel, Démette et Aéré Lao[1]. En aout, l’avocat introduisait le recours en annulation de la délibération devant la Cour Suprême. Le 27 septembre, 11 personnes de la commune de Dodel ont été convoquées à la gendarmerie. Elles ont été accompagnées par plus de 2000 personnes. En outre, le Collectif a su mobiliser des organisations de la société civile, notamment Enda Pronat, pour l’accompagner dans sa noble lutte pour la défense des droits des populations locales.
Car en effet, cette attribution foncière a bafoué plusieurs principes des instruments internationaux[2], continentaux[3] et du dispositif juridique national. Le processus de décision n’a pas associé à la consultation toutes les personnes susceptibles d’être concernées de manière à obtenir de la part de ces communautés un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Les populations ont donné leur accord sous la pression de l’administration territoriale. Les chefs de village de tous les villages impactés auraient du être systématiquement associés aux travaux (préalables) de la commission domaniale, conformément à l’art. 35 du décret du 22 mars 1996[4].
Une précipitation déconcertante et incompréhensible s’est opérée pour un projet d’une telle envergure. La convention d’investissement entre les communes et la société marocaine a été signée le 17 janvier 2017 pour une durée de 40 ans renouvelables. La réunion de délibération et la signature de la convention se sont tenues le même jour (24 mars) et l’approbation par le sous-préfet, seulement trois jours après. Selon l’art. 245 du Code Général des Collectivités Locale, le représentant de l’Etat aurait dû donner un délai d’un mois à compter de la date de réception de la délibération pour permettre éventuellement aux populations d’introduire un recours administratif pour contester la délibération. Dans cette affaire, le sous-préfet (en approuvant dans la précipitation) n’a pas donné à la population la chance de le faire.
L’affectation des 10 000 ha en un seul tenant aurait perturbé fondamentalement les conditions de vie des populations locales dans une commune dont le potentiel foncier est estimé à 26 485 ha. Cela veut dire que le groupe marocain aurait détenu près de 40% du potentiel foncier de la commune. La perte du seul outil de production (la terre) au profit du Groupe marocain aurait été synonyme d’un passage du statut d’agriculteur indépendant à celui d’ouvrier agricole pour les populations et les générations à venir.
Le Collectif reconnaît que des investissements sont essentiels si on veut améliorer de façon durable la sécurité alimentaire. Les populations ne refusent pas l’exploitation des terres, mais préfèrent des aménagements publics aptes à promouvoir une agriculture familiale modernisée, durable et équitable. Or, depuis 1990, l’Etat n’a réalisé qu’un seul aménagement de 380 ha dans la commune. En y ajoutant les périmètres villageois, la moyenne de terre aménagée par ménage est d’à peine 10 ares, ce qui ne permet pas d’assurer une autosuffisance alimentaire.
La SAED a réalisé des études techniques sur 2000 ha dans la zone. Sur ces bases l’Etat pourrait renforcer les aménagements hydro agricoles. Des conditions de réussite de ces futurs aménagements publics sont déjà réunies : l’eau, la terre et la main d’œuvre, constituée d’agriculteurs qui maitrisent la culture irriguée. Par ailleurs, les opérateurs économiques nationaux ou internationaux pourront signer avec les exploitants de ces aménagements agricoles des contrats de production. Cette stratégie consistera à vendre avant même de produire et ainsi de lutter contre l’émigration et l’exode rural.
[1] https://www.youtube.com/watch?v=DYd98nXxCN8&t=4781s
[2] Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts
[3] Cadre et Lignes directrices sur les politiques foncières de l’Union Africaine (Syrte, 2009)
[4] Décret n° 96-228 du 22 mars 1996 relatif aux attributions des chefs de circonscription administrative et des chefs de village